JAZZ HOT
Si un album-hommage à Ahmad Jamal est un projet naturel et légitime pour un pianiste, il est plus inattendu et audacieux de la part d’une chanteuse. C’est une sacrée bonne idée au vu du résultat, et c’est surtout se souvenir de ce beau disque chez Cadet, Ahmad Jamal With Voices (1967). Sans l’avoir entendue en live, ce qu’on ne manquera pas de faire le plus tôt, on peut donc déjà mettre au crédit de Cecil L. Recchia l’originalité du choix et la curiosité culturelle.
Elle a de plus posé des paroles sur des thèmes composés par le maestro et reprend également des standards ou traditionnels («Volga Boatmen») qu’Ahmad Jamal a immortalisé à sa façon si particulière.
Le livret, sans notes de pochettes (paroles de quelques morceaux), c’est dommage pour un premier disque, ne nous apprend rien de la jeune femme. Sur la toile, on apprend que la littérature américaine l’a conduite au jazz, confirmant la curiosité dont nous parlions, et qu’elle a étudié au CIM, à Paris, dont elle est originaire, qu’elle a monté son premier quartet en 2007. Deux ans plus tard, elle a participé à une série de concerts qui ont abouti sur le disque collégial Jazz à la récré (EMI). Enfin, Cecil L. Recchia, qui a suivi des master-classes avec Michele Hendricks et Barry Harris, est professeur de jazz vocal, ce qui suppose déjà une maîtrise certaine de cet art.
Dotée d’une jolie diction, d’une voie expressive et nuancée, d’un swing indéniable, elle s’est également parfaitement appropriée la musique d’Ahmad Jamal, comme interprète et comme arrangeuse, partageant la direction artistique du disque avec David Grebil. Il est à noter que le trio qui l’accompagne est dans l’esprit, notamment Vincent Bourgeyx qui a la délicate mission de prendre place au piano pour évoquer un Maître.
On apprécie bien sûr ce «Volga Boatmen» qui rappelle le Ahmad Jamal historique de 1956, y compris dans le tempo et la manière de Bourgeyx, mais le disque dans son ensemble fait référence aux interprétations du grand artiste, avec un respect certain des tempos, de l’esprit des interprétations d’origine. Bien entendu, il n’y a pas lieu de comparer (bien que ce soit nécessaire à la chronique), mais de chercher ce qui est original et bien approprié. L’original, c’est la voix et le projet en lui-même, et le mérite est d’exploiter un si beau répertoire pour lui redonner une vie somme toute très agréable.
Voilà donc un premier album de bon goût et d’une évidente maîtrise. Cecil L. Recchia n’est pas pour l’instant un projet marketing mais une musicienne de jazz. On apprécie!
Yves Sportis © Jazz Hot n°676, été 2016